[message_box type="note"]Testapic a souhaité vous faire partager une étude abordant un aspect fondamental de l’utilisation des nouvelles technologies à l’heure actuelle mais qui a pourtant été peu étudié de manière formelle jusqu’à présent : la personnalisation des Smartphones. Intitulée “Analyse empirique de la personnalisation des Smartphones : mesures et variabilité inter-utilisateurs”*, cette étude a été réalisée par des chercheurs de l'Université de Rice (Houston, Etat-Unis) et publiée dans la revue “Behaviour & Information Technology”.
Cette étude, dont nous avons aimé le pragmatisme, est une des premières à investiguer de manière empirique et approfondie la thématique de l’utilisabilité sous-jacente à la personnalisation des Smartphones. Nous vous livrons ici une synthèse de cette étude.

* Tossel, C. C., Kortum, P., Shepard, C., Rahmati, A., & Zhong, L. 2012. An empirical analysis of smartphone personalisation: measurement and user variability. Behaviour & Information Technology, 31(10), 995-1010.

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Pourquoi s’intéresser à la personnalisation ?

La personnalisation des Smartphones, et plus largement des devices mobiles, engendre un effet positif double :

  • D’une part, elle permet à l’utilisateur d’accéder plus rapidement et plus facilement aux fonctionnalités répondant au mieux à ses besoins ; ce qui apporte un effet mélioratif important vis-à-vis de l’interaction utilisateur-interface.
  • D’autre part, elle permet également de créer des services et des devices ayant une plus forte attractivité pour les utilisateurs que les services et devices non personnalisés (Riedl, 2001 ; Bush & Tiwana, 2005). Ce qui, d’un point de vue marketing et fidélisation, est fortement bénéfique.

Plus généralement, la personnalisation apparaît actuellement comme une best-practice ergonomique à suivre : elle permet aux utilisateurs d’adapter la technologie à leur environnement propre et leurs activités, en fonction de leurs besoins et désirs.
L’objectif de Tossel et ses collaborateurs était de caractériser le “processus de personnalisation” et les différences qui peuvent exister entre les utilisateurs. Plus spécifiquement, ces chercheurs ont voulu comprendre la relation entre personnalisation, utilisabilité perçue et usage des smartphones.

Dans cette étude, les auteurs se sont intéressés à la personnalisation dite “initiée par l’utilisateur”, consistant par exemple à installer et réorganiser les applications sur son smartphone, à modifier le fond d’écran… (en opposition à la personnalisation dite “basée sur le Web”, ou “personnalisation adaptative” consistant par exemple à utiliser les cookies afin d’adapter le contenu mis en avant sur un site lors de la prochaine visite de l’utilisateur).

Dans le cadre de cette personnalisation “initiée par l’utilisateur” des Smartphones, les auteurs se sont focalisés sur les modifications liées au contenu, à l’interface et à l’apparence des Smartphones.

Avantages de la personnalisation

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Les utilisateurs personnalisent leur Smartphone pour divers raisons allant de l’amélioration esthétique au perfectionnement fonctionnel de leur device.

Les conclusions d’études antérieures (Heidmets, 1994 ; Blom, 2000 ; Barkhuus & Dey, 2003) mettent d’ailleurs en évidence qu’un haut niveau de personnalisation permet une meilleure interaction entre l’utilisateur et son device. D’un point de vue design, la personnalisation permet également de réduire les écarts entre les préconceptions du designer et les attentes et préférences de l’utilisateur.  La personnalisation permet ainsi de toucher un large groupe d’utilisateurs en apportant un “design flexible”.

L’importance des designs personnalisables dans l’optimisation des interactions a déjà été soulignée par le passé. Hancock et ses collaborateurs (2005) ont par exemple mis en exergue qu’une approche individualisée d’un système donné permet de renforcer le plaisir et l’efficience ressentis par l’utilisateur lors de ses interactions avec ce système. Dans la même veine, des études plus anciennes (Maguire, 1982 ; Greenberg, 1991) ont montré qu’un système personnalisé permet de prolonger la “durée de vie” du système (dans le sens où la lassitude de l’utilisateur est moins rapide).

En contrepartie, un excès de personnalisation peut mener à un manque d’utilisabilité et engendrer une certaine frustration chez les utilisateurs. En particulier chez les novices qui peuvent ne pas savoir comment personnaliser leur device. Un processus de personnalisation trop complexe peut être décourageant pour l’utilisateur s’il nécessite une phase d’apprentissage préalable (Greenberg & Witten, 1985).

La prescription en termes de personnalisation est donc de trouver le bon équilibre entre le temps requis pour achever le processus et le bénéfice réel que l’utilisateur peut en retirer.

Raisons et effets de la personnalisation

Dans le cadre de la personnalisation des Smartphones spécifiquement, les quelques recherches existantes se sont essentiellement focalisées sur les modifications d’apparence et les facteurs dispositionnels sous-jacents au processus de personnalisation (i.e., dispositions socio-psychologiques, émotionnelles).

A titre d’exemple, Blom et Monk (2003) ont montré que l’utilisation du processus de personnalisation dépend de la connaissance qu’en a l’utilisateur, des éventuelles contraintes techniques ou de l’influence des pairs.

Ces auteurs font l’hypothèse que la modification de l’apparence du Smartphone provoque un changement de l’état cognitif, social et émotionnel de l’utilisateur. En particulier, la personnalisation est susceptible de provoquer une augmentation de la reconnaissance du système par l’utilisateur, un sens de l’identité personnel renforcé et un plus grand attachement de l’utilisateur à son Smartphone.

D’autres auteurs (Oulasvirta & Blom, 2008) ont aussi montré que le processus de personnalisation permet d’améliorer la satisfaction des utilisateurs.  L’hypothèse sous-jacente est que ces derniers personnalisent leur Smartphones pour 3 raisons principales.

  • La recherche d’autonomie : la personnalisation de la “technologie générique” permet d’accroître la perception d’individualité et de liberté de choix chez l’utilisateur.
  • La recherche de compétence : un système personnalisé a pour effet d’augmenter l’efficacité des interactions avec l’utilisateur.
  • La recherche de “proximité“ : en fonction du contexte social dans le lequel se trouve l’utilisateur, celui-ci peut utiliser la personnalisation comme vecteur d’expression émotionnelle et “identitaire”.

Ainsi pour ces auteurs “les fonctions de personnalisation sont centrales pour aider les individus dans leur recherche de progrès et d’états socio-psychologiques positifs”. Dans ce contexte, la personnalisation est également avantageuse pour la technologie elle-même car les bénéfices que peuvent en retirer les utilisateurs “font qu’un processus de personnalisation bien conçu permet d’améliorer l’acceptabilité et d’éviter une sous-utilisation des nouvelles technologies d’informations et de communication”.

Partant des constats exposés ci-dessus, Tossel et ses collaborateurs ont réalisé une analyse empirique de la personnalisation. Leur étude s’est focalisée en particulier sur la variabilité qui peut exister entre les utilisateurs dans ce processus de personnalisation, en lien avec l’utilisation des Smartphones et de leur utilisabilité perçue.

Mesure de la personnalisation et variabilité entre les utilisateurs

variabilite-utilisateurs

Dans un premier temps, les auteurs ont réalisé une première expérience menée sur 34 utilisateurs d’iPhones (17 femmes, 15 hommes) afin de mettre en évidence les différences inter-utilisateurs observables en termes de personnalisation des Smartphones. Pour cette expérience, chaque utilisateur présentait son propre iPhone aux expérimentateurs ; à l’issue de ces présentations les expérimentateurs mesuraient le niveau de personnalisation sur les différents critères présentés précédemment.

Pour ce faire, les auteurs ont élaboré un “score de personnalisation” basé sur 10 critères identifiés dans la littérature et considérés comme significatif dans le processus de personnalisation. Chaque critère s’est ensuite vu affecté un coefficient de pondération en fonction de la complexité des actions nécessaires pour personnaliser l’iPhone et selon l’ampleur du changement résultant de ce critère.

Toutes choses étant égales par ailleurs, l’expérience a été menée sur des utilisateurs d’iPhones uniquement. Les critères significatifs de personnalisation retenus étaient les suivants :

 

Aspect concernéCritère (et pondération)
ContenuNombre de nouvelles applications installées (0,10)
Interface - dock% d’applications non originel dans le dock (barre du bas) (0,15)
Interface - dockRéorganisation  (changement de position) des applications dans le dock (0,15)
Interface -1ère page% d’applications non originel sur la 1ère page (0,15)
Interface -1ère pageOrganisation (classement par catégorie) des applications sur la 1ère page (0,15)
Interface – Espaces videsNombre d’espaces d’affichage d’applications laissés vides sur l’ensemble des pages
Interface - sonneriesModification des paramètres d’appel et notifications ; score majoré si téléchargement de son (0,05)
Apparence – aspect extérieurAjout d’un étui, d’une coque… (0,05)
Apparence – écran de verrouillageModification de l’image de l’écran de verrouillage ; score majoré si chargement d’un image personnelle  (0,05)

 

Une note a été attribuée aux utilisateurs sur chacun de ces critères ; la moyenne pondérée de ces notes constitue alors le score de personnalisation global.

 

Hightlights

Les principaux résultats montrent que la personnalisation ne dépend pas :

  • du temps depuis lequel les utilisateurs ont leur iPhone,
  • de l’âge des utilisateurs,
  • de l’origine culturelle des utilisateurs.

En contrepartie les auteurs ont observé des différences significatives liées au genre des utilisateurs.

Les femmes personnalisent davantage leur Smartphone sur l’aspect esthétique :

  • 100% des femmes ayant participé à l’étude ont personnalisé leur écran de verrouillage contre seulement 62% des hommes,
  • 81% des femmes ont habillé leur Smartphone avec un étui ou une coque contre 42% chez les hommes,
  • 27% des femmes ont modifié leur sonnerie tandis que seul 5% des hommes l’ont modifiée.

A contrario, les hommes personnalisent leur Smartphone plutôt sur ses aspects fonctionnels :

  • Ceux-ci tendent à davantage réorganiser les applications de la 1ère page que les femmes : 3,48 applications en moyenne chez les hommes contre 2,00 chez les femmes.
  • Les hommes modifient également davantage le dock (barre d’applications du bas) : sur les 4 applications présentes dans le dock, 1,12 ont été modifié par les hommes en moyenne contre 0,34 pour les femmes.
  • Enfin, les hommes aménagent d’avantage d’espace vide sur les pages par rapport aux femmes : 3,76 espaces vides par page en moyenne contre 2,42 respectivement.

Enfin, il est intéressant de noter que, malgré ces différences, le score de personnalisation global ne diffère pas significativement entre les hommes et les femmes. Ainsi, hommes et femmes personnalisent autant leur Smartphone mais de manières différentes.

 

Personnalisation, Usage et Utilisabilité

Dans une seconde expérience, les auteurs ont ensuite mis en perspective ces scores de personnalisation avec l’utilisabilité perçue et les usages que peuvent faire les utilisateurs de leur Smartphone. Cette seconde expérience a permis aux auteurs d’identifier un ensemble de comportements caractéristiques en matière de personnalisation et d'usages, en analysant de manière empirique 6 mois consécutifs d’utilisation d’iPhones chez 24 participants.

Vous devrez toutefois vous armer d’un peu de patience si ce sujet vous intéresse. Nous vous exposerons cette seconde expérience très prochainement !

A suivre… [voir la suite de l'étude]

Références

Barkhuus, L. and Dey, A., 2003. Is context-aware computing taking control away from users? Three levels of interactivity. In: Proceedings of UbiComp 2003. Berlin: Springer, 150–156.

Blom, J., 2000. Personalization – a taxonomy. In: Extended abstracts of the CHI 2000 conference on human factors in computing systems. New York: ACM, 313–314.

Bush, A.A. and Tiwana, A., 2005. Designing sticky knowledge networks. Communications of the ACM, 48 (5), 66–71.

Greenberg, S., 1991. Personalizable groupware: Accomodating individual roles and group differences. In: L. Bannon, M. Robinson, and K. Schmidt, eds. ECSCW ‘91. Proceedings of the second European conference on computer-supported cooperative work. Amsterdam: Kluwer Academic Publishers, 17–31.

Greenberg, S. and Witten, I.H., 1985. Adaptive personalized interfaces – a question of viability. Behaviour & Information Technology, 4, 31–45.

Hancock, P.A., Pepe, A., and Murphy, L.L., 2005. Hedonomics: the power of positive and pleasurable ergonomics. Ergonomics in Design, 1, 8–14.

Heidmets, M., 1994. The phenomenon of personalization of the environment: a theoretical analysis. Journal of Russian & East European Psychology, 32, 41–85.

Maguire, M., 1982. An evaluation of published recommendations on the design of man-computer dialogues. International Journal of Man-Machine Studies, 16, 237–261.

Blom, J. and Monk, A., 2003. Theory of personalization of appearance: why users personalize their PCs and Mobile Phones. Human-Computer Interaction, 18, 193–228.

Oulasvirta, A. and Blom, J., 2008. Motivations in personalization behavior. Interacting with Computers, 20, 1–16.

Riedl, J., 2001. Personalization and privacy. Internet Computing, 5 (6), 29–31.

Crédits photos : WarmSleepykohlmann.sascha, IconsShock

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